Depuis plusieurs années, le comédien Bonaventure Madjitoubangar organise dans les rues de la capitale tchadienne N’Djamena des lectures théâtrales (théâtre de rue) pour amener la culture dans les quartiers populaires.
Ce jeudi, l’artiste de 35 ans, dreadlocks mi-longues, se produit à Chagoua, dans le sud de la capitale, près du fleuve Chari. Les maisons de tôle et les venelles poussiéreuses se succèdent.
Des détritus jonchent le sol et des effluves émanent de la combustion de déchets plastiques. Mais pour le comédien, qui “veut rendre la culture accessible à tout le monde”, ce décor suffit pour faire office de scène de théâtre. Pas besoin de lever de rideau.
“Le pouvoir n’en a rien à foutre de la culture, c’est pour cela que je prends l’espace public, pour amener le théâtre au plus grand nombre”, affirme M. Madjitoubangar, fondateur de la troupe Théâtre Elan.
Pieds nus, assis sur une pile de briques, le comédien déclame des textes d’auteurs, le plus souvent tchadiens, mais aussi du continent africain.
Une vingtaine de personnes, dont de nombreux enfants, se rassemblent pour la représentation, largement attirées par les sons du balafon, un xylophone africain, qui accompagne la lecture et émet un son aigü et envoûtant. Bonaventure Madjitoubangar lit son texte d’une voix forte, détachant avec application les mots, ses mains toujours en mouvement.
Exil
Ces représentations de théâtre de rue, dans le cadre d’une série intitulée “Une lecture, un voyage”, abordent différentes thématiques. Le thème du jour: l’exil. Pour aborder ce déracinement, le comédien a choisi Nimrod Bena Djangrang, un auteur tchadien multiprimé, né en 1959, qui a quitté son pays alors que la guerre civile des années 1980 faisait rage dans le pays d’Afrique centrale, théâtre de nombreuses rébellions et coups d’État depuis son indépendance de la France en 1960.
“J’ai revu N’Djamena il y a 10 ans…”, lit le jeune artiste, habité par le texte. “J’ai choisi cet auteur pour aborder le thème de l’exode, car de nombreux Tchadiens sont tentés de quitter le pays à cause de la misère, avec le risque de finir noyés comme de nombreux autres exilés dans la Méditerranée”, souligne le comédien, qui réalise ses représentations dans la rue depuis 2016.
M. Madjitoubangar évoque aussi l’exode rural et les déplacements de population, dans un pays en proie aux attaques jihadistes et aux conflits intercommunautaires qui poussent de nombreux habitants à fuir leur région.
Acte politique
Le jeune artiste est très impliqué dans la vie du quartier, organisant dans la rue des ateliers culturels avec les enfants. “Sans culture, on ne peut pas amorcer le développement du pays”, affirme-t-il.
Au Tchad, troisième pays le moins développé de la planète, environ 42% de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU. Le pays enclavé d’environ 15 millions d’habitants, ne dispose d’aucun théâtre ni d’aucun cinéma.
“Il n’y a pas d’étude d’arts dramatiques au Tchad, il a fallu que je parte au Burkina Faso pour suivre cette formation”, assure le comédien. Si le thème de la représentation semble avoir échappé à une grande partie de l’audience, dans un pays où seul 20% de la population sait lire et écrire, le public s’enthousiasme au rythme du balafon.
“C’est important d’amener le théâtre ici”, déclare Walter Houlmbaye, un militaire de 42 ans, qui habite dans le quartier de Chagoua depuis 1986.
“C’est bien ce qu’il fait pour le quartier, pour les enfants, avec les différents ateliers qu’il met en place”, affirme de son côté Antoinette Nojidemgen, une commerçante de 30 ans.
“Ce que je fais, c’est un acte politique, amener la culture par la base mais cela prend du temps”, souligne Bonaventure Madjitoubangar, qui ne se contente pas uniquement de faire des représentations de rue et se déplace parfois dans les cours des maisons.
Les thèmes abordés sont nombreux et en résonance avec l’actualité : les droits des femmes avec la lecture d’Une si longue lettre de l’auteure sénégalaise Mariama Ba ou encore le poids des traditions avec Sous l’orage du dramaturge malien Seydou Badian. “Mais je peux également faire des pièces d’Albert Camus, la culture n’a pas de frontière”, soutient le comédien.
Source: À N’Djamena, un théâtre de rue qui casse les codes