L’installation de simples baraques de chantier vaut- elle ce sacrifice de l’unique école en agronomie en Algérie, demandent-ils à leur ministre?
Dans cette contribution, le Pr Abdelguerfi Aïssa interpelle le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique afin qu’il use de ses prérogatives et vienne au secours d’un patrimoine national sérieusement menacé. Enseignant-chercheur à l’Ensa (ex-INA) depuis près de 40 ans le Pr Abdelguerfi ne cherche ni honneur ni gloire dans cette action qu’il mène avec d’autres enseignants officiant dans la même école.
Il s’agit seulement de sauver un précieux bijou comme le ferait le plus simple des Algériens jaloux de son pays. L’auteur de cette contribution souhaite être entendu en tant que scientifique qui a formé pour son pays plus de 80 ingénieurs agronomes, 45 magistères et une quinzaine de doctorants. Il a publié ou participé à la publication de plusieurs ouvrages et actes de colloques internationaux. A son actif également, plus de 110 communications internationales avec actes et plus de 35 expertises nationales et internationales.
L’installation de simples baraques de chantier de Cosider au niveau d’un Jardin botanique centenaire n’est pas d’utilité publique, répondent des enseignants chercheurs à leur ministre. La communauté des enseignants chercheurs et étudiants, engagés dans la protection du Jardin botanique de l’Ensa, maintiennent leur mobilisation pour sauver leur jardin menacé de destruction par l’installation de baraques de chantier, durant les travaux du projet d’extension du métro d’Alger.
Ce collectif d’enseignants et d’étudiants engagés attendait du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qu’il vienne avec une bonne connaissance de ce dossier lors de sa visite du 18 octobre à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation et qu’il tranche sur cette question avec des instructions claires en faveur de la protection de cet établissement prestigieux, et de sa stabilité en pleine rentrée universitaire.
Les enseignants chercheurs et étudiants ne comprennent pas que le ministre, en visite dans leur école, puisse déclarer à la presse que l’installation de baraques de chantier dans leur Jardin botanique soit d’une utilité publique.
Non, Monsieur le ministre, c’est la protection du patrimoine scientifique et de ce laboratoire à ciel ouvert qui est réellement d’une utilité publique pour l’Algérie. La déception est très forte, le ministre aurait dû instruire toutes les parties impliquées d’utiliser d’autres alternatives pour installer les baraques de chantier de Cosider.
Les enseignants, dans tous leurs appels, n’ont pas cessé de désigner un terrain, vague et abandonné, qui se situe à dix mètres du Jardin botanique, en dehors de l’enceinte de l’école, comme une alternative pour éviter sa destruction.
Pourquoi cet entêtement à raser des arbres et des villas pour les reconstruire sur un autre site, alors qu’il suffit de déplacer ce projet d’installation de baraques vers ce terrain ou ailleurs?
Le rôle d’un ministre est de protéger les intérêts de son secteur et non d’assurer des commodités d’installation de chantier à Cosider.
Plus encore, les enseignants chercheurs engagés dans la sauvegarde du patrimoine de leur établissement, attendaient que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, lors de sa visite à l’école à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, leur donne des orientations sur la recherche en lien avec des dossiers stratégiques pour la sécurité alimentaire du pays : les questions de développement du monde rural, de l’eau, des filières de production telles celles des céréales et du lait… ou de l’employabilité des étudiants qui sont au coeur des priorités économiques de l’Algérie.
Au lieu de cela, il ouvre un faux débat sur l’installation de baraques de chantier qui selon lui, doit être soumise à des experts.
Les enseignants chercheurs sont perdus face à la multiplication de communiqués contradictoires de Cosider qui dit avoir «l’accord formel» de la direction de l’Ensa, du directeur de l’école qui déclare à l’APS du 18 octobre que «l’opération de coupe et de déplacement des arbres est en cours d’étude par un groupe d’experts en collaboration avec la direction générale des forêts (DGF)» et du ministre qui déclare également à l’APS que «ce projet a eu certainement l’aval de spécialistes en la matière» et que «d’après leurs explications, ils ne vont pas couper les arbres mais les déplacer».
Non Monsieur le ministre, nul besoin d’être expert pour savoir qu’il ne faut pas détruire un jardin centenaire pour y installer de simples baraques de chantier.
Si ces études d’experts existent, ces enseignants attendent des réponses à leurs questionnements. Qui en a fait les termes de références? Quelles sont les références scientifiques de ces bureaux d’études? Pour mettre fin à ce débat sur l’expertise, les enseignants demandent leur publication en ligne sur l’Intranet de l’école. Il ne saurait être question d’expertise faite a posteriori et sans références solides de leurs auteurs.
Face à la déclaration du directeur de l’Ensa, rapportée par Le Temps d’Algérie du 19 octobre, qui affirme devant le point de presse que «ce Jardin botanique est un dépotoir», on s’interroge sur la pertinence et la légitimité du choix de cette école pour accueillir quatre ministres à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation.
Sachant que ces quatre ministres ont été reçus dans un salon d’honneur qui donne sur ce même Jardin botanique.
Si ce Jardin botanique est «un dépotoir», n’est-il pas du ressort de la direction de prendre en charge sa maintenance ? Et si demain, on considère qu’un des immeubles de cette prestigieuse institution centenaire est délabré, faudra-t-il aussi le raser ou le rénover ?
Face à ces déclarations concernant les «arbres nomades» du Jardin botanique, qui n’ont aucun fondement scientifique, ainsi que le classement du Jardin botanique, désormais défini comme un «dépotoir» par le directeur de l’Ensa, les enseignants chercheurs sont très inquiets pour leur crédibilité et celle de leur école.
L’installation de simples baraques de chantier vaut- elle ce sacrifice de l’unique école en agronomie en Algérie, demandent-ils à leur ministre ?
Se sentant abandonné par son ministère de tutelle, ce collectif d’enseignants chercheurs et d’étudiants informe l’opinion publique qu’il va solliciter l’intervention du président de la République en tant que plus haute autorité du pays.
* Professeur spécialisé dans les ressources génétiques et les ressources fourragères et pastorales.
Source: ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’AGRONOMIE D’EL HARRACH : « Cessez le massacre Monsieur le ministre »