PARIS – « Leçons du temps colonial dans les manuels scolaires », est un ouvrage collectif regroupant douze études, décortiquant l’histoire coloniale française en Algérie dans les contenus d’enseignement avec des regards croisés sur la langue du colonisateur et celle des colonisés.
Edité par L’Harmattan, cet ouvrage de 233 pages, coordonné par Pierre Boutan (professeur en sciences du langage, Université de Montpellier) et Sabeha Benmansour-Benkelfat (professeur en sciences du langage, Université Aboubakr Belkaïd, Tlemcen), montre, entre autres études, comment évolue sur la longue période la désignation des habitants de l’Algérie dans les manuels d’histoire et de géographie.
Trois études de cas traitent cet aspect, prenant aussi pour cible la colonisation vue par les manuels scolaires des époques coloniales et postcoloniales, dont la figure de l’Emir Abdelkader dans les manuels algériens.
Dans son analyse, « La question coloniale saisie à travers les manuels scolaires », le professeur Eric Savarese (Université de Montpellier), a estimé que l’histoire coloniale des manuels scolaires « reste l’un des outils les plus utiles pour aborder l’écart paradoxal entre l’égalité républicaine et ses multiples dérogations sur le terrain colonial », en dépit des contradictions entre des principes égalitaires/universalistes et les situations coloniales.
Pour sa part, Sylvette Lazul (IMAf-EHESS Paris) considère que les manuels scolaires des écoles arabes-françaises en Algérie de 1850 à 1870 étaient porteurs d’ambiguïtés quand la morale qu’ils diffusent ou l’image de la modernité qu’ils véhiculent sont mises au service des objectifs coloniaux.
Mounira Chariet (IREMAM, Aix-en-Provence), analysant les manuels scolaires algériens des années 1950, c’est-à-dire à la veille de la décolonisation, a affirmé que le discours scolaire diffusé en temps colonial « est volontiers considéré comme un des vecteurs principaux de l’idéologie impériale », mettant en exergue les contradictions du système colonial.
Les contradictions du système colonial
Elle relève que sous l’effet du réveil nationaliste en Algérie, la demande de scolarisation se fait « pressante » et le discours politique « se trouve pris au piège de ses contradictions », soulignant, par exemple, le fameux « coup d’éventail », abordé dans les manuels, « comme si l’histoire de l’Algérie n’était qu’une longue période de stagnation avant l’arrivée des Français ».
Pour cette chercheuse, derrière la pluralité des visions exprimées dans les manuels scolaires, même avec l’intégration, durant cette période des auteurs locaux comme Mouloud Feraoun, « c’est la vision assimilatrice qui domine les manuels de lecture de la décolonisation, comme pour accorder à l’autochtone l’accès à l’ascenseur social qui lui a toujours été refusé, alors que les manuels antérieurs faisaient de l’enseignement du français un instrument de civilisation ».
Elle estime que les manuels des années 1950 reflètent les tensions politiques et les incertitudes de cette période de bouleversements pour l’histoire des deux pays respectifs et de leur histoire commune.
La chercheure Karima Aït Dahmane (Université d’Alger), analysant la figure de l’Emir Abdelkader dans les manuels d’histoire, fait observer que dans les manuels d’histoire, destinés aux élèves français des niveaux primaire et secondaire, deux événements majeurs sont enseignés, la conquête en 1830 et la résistance de l’Emir Abdelkader jusqu’à décembre 1847. « Le phénomène de longue durée qui se déroule entre les deux : la colonisation progressive du territoire, les massacres, l’implantation des colons, l’exploitation du sol, ce long processus n’est pas décrit », relève-t-elle, soulignant que le discours scolaire « n’est pas dénué de passion ou de parti pris ». Pour elle,
« Célébrer la conquête, faire silence sur les massacres, inscrit ce type de discours dans la formation discursive coloniale, et le situe en son sein dans le camp des soutiens colonialistes ».
Les manuels scolaires, prélude de la décolonisation ?
Sa consœur, Sabeha Benmansour-Benkelfat, décortiquant les enjeux idéologiques dans les manuels de lecture coloniaux, émet l’hypothèse que les modèles produits par le discours scolaire colonial auraient jeté les bases d’une revendication identitaire puisant ses codes référentiels ailleurs que dans ces mêmes modèles.
« Mais il n’en demeure pas moins que nous retiendrons que les enfants quittent la salle de classe sans savoir toujours ce qu’est la patrie. Et quand on ne sait pas, on cherche à savoir et on puise ce savoir là où il répond le mieux à notre attente, à nos questionnements », étaye-t-elle.
Source: L’enseignement de l’histoire coloniale décortiqué par un ouvrage collectif