SOUK AHRAS – Les évènements de Sakiet Sidi Youcef du 8 février 1958 avaient consolidé les liens entre Algériens et Tunisiens et mis en échec les tentatives coloniales de briser la solidarité entre les deux peuples et isoler les révolutionnaires de l’Armée de libération nationale (ALN), a affirmé le résistant tunisien, Lazhar Ez-zaïdi.
‘’Les images des victimes déchiquetées et les cris des blessés de ce massacre horrible ne s’effaceront jamais de ma mémoire », a déclaré l’homme de 79 ans qui, en tant qu’élément à l’époque de la Garde nationale tunisienne, avait participé à l’évacuation des blessés et des chouhada.
Ez-zaïdi se souvient, dans un témoignage livré pat téléphone à l’APS, des mots du défunt président tunisien Habib Bourguiba qui comparait alors l’Afrique du Nord à un oiseau dont les deux ailes sont le Maroc et la Tunisie alors que le cœur est l’Algérie, et tant que les deux ailes sont indemnes, cet oiseau volera certainement. Pour Ez-zaïdi, le message était on ne peut plus clair que « la Tunisie gardera ses bras ouverts aux moudjahidine algériens ».
Une mine de fer abandonnée était située à 2 km de la ville de Sakiet Sidi Youcef. Elle servait aux entraînements des moudjahidine algériens qui en partaient pour lancer leurs assauts contre les forces du colonisateur français.
A 8h00 du matin du jour de l’attaque, « nous avons été surpris par le bruit assourdissant d’une série d’explosions et les colonnes de fumée qui montaient vers le ciel », raconte ce septuagénaire qui ajoute que leur unité, stationnée dans la ville du Kef, reçut alors l’ordre de se diriger immédiatement vers le lieu de l’explosion.
« Les gens terrorisés fuyaient dans tous les sens », ajoute Ez-zaïdi qui affirme se souvenir particulièrement d’une femme enceinte, trentenaire, qui saignait et demandait secours. « En la portant vers le camion de la Garde nationale, je sentais ma main gauche toucher ses os et ses entrailles. Elle était éventrée », se rappelle ce témoin oculaire qui ajoute que la femme a rendu l’âme en cours de route vers l’hôpital de la ville du Kef, ainsi que trois autres des 14 blessés évacués.
Le nombre des blessés était « très grand car ce fut un jour de marché hebdomadaire. Les cadavres étaient partout et leur sang était mélangé aux légumes et fruits », a-t-il ajouté en affirmant que la solidarité de la population de la région fut instantanée et d’une grande ampleur. « Les gens, ceux qui ont survécu au bombardement, accouraient de toutes parts pour soutenir et secourir les victimes, bien que beaucoup aient alors perdu qui une femme, qui un époux, qui un frère ou un enfant », se souvient le septuagénaire.
« Tous étaient fiers et considéraient comme un devoir de soutenir les moudjahidine algériens », atteste Ez-zaïdi.
Le bombardement de Sakiet Sidi Youcef met à nu l’hypocrisie des slogans français
De son côté, Dr Othmane Menadi, chef du département d’histoire de l’université de Souk Ahras, a estimé que des signes précurseurs montraient alors que la France préparait des représailles contre les près de 15.000 moudjahidine de l’Armée de libération nationale (ALN) qui se trouvaient en territoire tunisien qu’ils utilisaient comme base arrière d’entrainements et d’approvisionnement.
L’adoption le 1 septembre 1957 d’une loi l’autorisant à poursuivre les moudjahidine en territoire tunisien était un de ces signes de même que le survol le 30 janvier 1958 d’avions français de la région de Sakiet Sidi Youcef dont l’un des appareils avaient essuyé des tirs de l’ALN, ajoute cet universitaire.
C’est cet incident, ajoute Menadi, qui avait servi de « motif » au bombardement du paisible village de Sakiet Sidi Youcef un jour après la visite effectuée dans l’Est algérien par le général Lacoste. 8 bombardiers pilonnèrent ce village par un jour de grand marché hebdomadaire, un certain 8 février 1958.
L’agression dont le 60ème anniversaire sera célébré jeudi, avait fait 79 chouhada entre algériens et tunisiens, dont 11 femmes et 20 enfants en plus de 130 blessés.
Tous les équipements vitaux du village dont une école, un centre de soins, un centre de la Croix-Rouge internationale et du croissant rouge tunisien furent détruits dans cette attaque barbare.
Le massacre perpétré par l’aviation française à Sakiet Sidi Youcef avait mis à nu l’hypocrisie de la France qui se voulait le porte-drapeau des slogans de la liberté et de l’égalité, assure Menadi qui a souligné que la Tunisie avait alors chassé de son territoire 5 consuls français en signe de protestation et le président Bourguiba avait relevé le ton contre le gouvernement français.
La Tunisie avait également demandé une commission d’enquête internationale laquelle fut dépêchée par l’ONU et avait rendu un rapport dénonçant la barbarie de l’attaque française. Une des répercussions fut aussi le recul du soutien des Etats-Unis à la France au sein de l’ONU, note encore le même universitaire qui ajoute que deux mois après, la France fut secouée par le coup d’Etat militaire de ses généraux en Algérie.