ALGER – Deux experts économiques, Mustapha Mekideche et Mourad Goumiri, s’expriment, dans un entretien accordé à l’APS, sur la problématique de la forte dépendance des collectivités locales aux dotations budgétaires de l’Etat et sur les moyens d’optimiser les ressources financières locales.
-QUESTION: Les Collectivités locales demeurent fortement dépendantes des dotations budgétaires de l’Etat. Comment expliquez-vous cette situation?
– MUSTAPHA MEKIDECHE: Vous savez que l’Algérie a conservé les traditions jacobines centralisatrices de l’Etat français que nous avons renforcées au moment, d’ailleurs, où ce dernier a fait sa mue dans ce domaine. Au niveau local et régional, l’investisseur quasi exclusif reste l’Etat par les instruments budgétaires que sont le Plan communal de développement (PCD) et le Programme sectoriel de développement (PSD). Les projets financés directement par les collectivités locales restent marginaux compte tenu de la faiblesse structurelle de leurs ressources humaines et financières.
Mais avec la chute drastique de nos ressources budgétaires, la problématique du financement du développement territorial est posée dans toute sa difficulté et sa complexité. Donc, c’est le moment de réformer.
– MOURAD GOUMIRI: Cette situation dépend de deux facteurs convergents.
Le premier est lié aux prérogatives attribuées par l’Etat aux collectivités locales. Si vous comparez celles-ci à celles qui étaient les leurs dans les années 60 et 70, vous allez remarquer que l’Etat n’a cessé de réduire la marge de manoeuvre des collectivités locales à son profit.
Le second facteur se situe dans la capacité de gouvernance des équipes communales et le niveau technique des élus et des administrateurs. Ces deux éléments combinés font que la dépendance au pouvoir central, c’est-à-dire aux dotations budgétaires et à l’expertise technique, va être de plus en plus forte, rendant au fur et à mesure les collectivités locales « mineures » et n’ayant aucun moyen d’intervention.
Enfin, la répartition inégalitaire des deniers publics entre les 1.541 communes va accentuer les déséquilibres entre régions et aggraver la dépendance.
Aussi, les plans spéciaux de wilaya qui permettaient, à l’époque, de rééquilibrer le développement local, ont été interrompus. Ce qui a participé à la création de « poches de pauvreté » dans certaines régions alors que dans d’autres, le développement s’accélère.
-QUESTION: Comment diversifier le financement local en général et la fiscalité locale en particulier? Ne pensez-vous pas que d’importantes »niches fiscales dormantes » locales existent?
-MUSTAPHA MEKIDECHE: Avant de parler de diversification des sources de financement local, il faut s’interroger sur les raisons des mauvaises performances du système de financement local en vigueur. Il est en grande difficulté avant l’apparition de la crise financière du pays qui a commencé le deuxième semestre 2014.
Il y a, comme vous le savez, 21 impôts dont les rendements sont faibles mais variables. Voyons les deux plus importants: la TVA (35%) et surtout la TAP (58%) qui représentent à eux deux 93% des ressources des APC. La TAP a été divisée par deux et certains souhaitent même la voir supprimée. C’est cela qui a plombé les finances locales. J’avais attiré l’attention en son temps.
Le dernier point qui reste problématique est l’impôt forfaitaire unique-IFU- (2%) et l’IRG foncier (1%) qui ne participent que de façon dérisoire au financement local. Pour conclure sur ce point je vous donne mes sources. Ces données sont celles du Comité interministériel chargé de la finance et de la fiscalité locale, installé précisément pour réformer l’ensemble du dispositif.
Pour les « niches fiscales », oui bien sûr elles existent. D’ailleurs pas seulement au niveau local. C’est d’ailleurs l’ensemble des performances du système fiscal qu’il faudra réévaluer.
Au niveau local, il faudra faire sauter les niches de rentes: sous-fiscalisation des biens communaux cédés ou concédés, sous-valorisation des biens fonciers communaux et aussi sous-évaluation des services locaux marchands sous oublier l’évasion fiscale. Donc les solutions existent. Le tout est de les mettre en oeuvre.
– MOURAD GOUMIRI: Avant de parler de diversification du financement local et de la fiscalité locale, il faut d’abord rendre aux autorités locales leurs prérogatives en la matière.
Certaines collectivités locales ont des ressources extrêmement importantes (Hassi Messaoud par exemple), mais toutes ces ressources récoltées par l’Etat tombent dans la trappe du Fonds commun des collectivités locales (FCCL) puis sont réparties par l’Etat aux communes sur des critères non transparents. Dès lors, il y a une démobilisation des acteurs locaux au profit du pouvoir central, les décisions se prenant dans les centres de décision, loin des préoccupations locales.
En outre, l’injection de cadres supérieurs administratifs et techniques ne s’est pas réalisée suffisamment (Diplômés de l’ENA, ingénieurs…). Ce qui rend les élus (avec un niveau faible en général) complètement inefficaces dans leurs interventions et leurs projets de développement.
Pour les « niches fiscales », le patrimoine des collectivités locales existe bel et bien « potentiellement », mais quant à sa gestion, elle est totalement inefficace, voire dans certains cas absente.
Un recensement de tous les biens communaux doit être entrepris de manière à éviter son aliénation aux prédateurs qui en jouissent. En outre, il faut les valoriser (création de marchés, aires de loisirs, de sports et de stationnement…) et les développer économiquement (prêts bancaires) puis les mettre à la disposition des besoins des citoyens de la commune, en temps et en heure.
Que ce soit le patrimoine forestier, les plages, les sites touristiques, de la faune et de la flore, ainsi que l’immobilier, le patrimoine communal doit faire l’objet d’une gestion active qui est elle-même génératrice de ressources fiscales conséquentes.
– QUESTION: Un élargissement des prérogatives du président de l’APC pour optimiser les ressources financières locales serait-elle une des solutions?
– MUSTAPHA MEKIDECHE: L’élargissement des prérogatives du maire ne peut être traité de façon isolée et ponctuelle. Il devra être traité dans le contexte des nouvelles logiques de développement territorial car il faudra également élargir les prérogatives de l’APW et de son président. Cela en tenant compte non seulement du principe de subsidiarité mais aussi de la disponibilité, à présent, d’élites territoriales qui n’ont rien à envier aux élites de la capitale. Cela nous l’avions dit il y a quelques années dans le rapport du CNES sur le développement local et les attentes citoyennes, rapport établi sur saisine du Président de la République.
– MOURAD GOUMIRI: Pas seulement. Il faut repenser complètement la relation des collectivités locales avec l’Etat sous la forme de partenariat et de relations contractuelles consenties.
Une définition plus pointue des prérogatives des uns et des autres est souhaitable afin d’éviter les chevauchements et autres zones d’ombres.
Les ressources financières locales existent mais il faut les optimiser. Et pour ce faire, il est évident qu’il faut injecter des gens diplômés dans les administrations locales en valorisant les postes supérieurs. Si vous élargissez les prérogatives sur rien du tout, le résultat est rien du tout.